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29 mai 2006
La kaleidophonie qu'est-ce que c'est ?
Je pars de loin. Je pars du constat qu'en chanson* au XXe siècle tout a
été dit et fait. Que des monuments se sont élevés, avec raison. De
Trenet à Gainsbourg, de Brassens à Nougaro, de Damia à Brel, de Ferré à
Boris Vian, de Prévert aux Frères Jacques, de Bobby Lapointe à Brigitte
Fontaine... On trouve tout, et surtout des chef-d'oeuvres, parmi
ceux-là. Quelle place pourrait-on encore tenir sous leurs poids ? Se
résoudre à parodier les plaisirs qu'ils nous ont donnés ? Refaire de la
chanson ? La chanson est morte, parce qu'indépassable. Mais la chanson,
c'est aussi - et bien souvent parmi eux - une forme, assez archaisante
des plaisirs poétiques : systèmes métriques réguliers, cette paire de
claque de la rime (comme la définissait déjà les surréalistes 80 années
plus tôt), ce retour de sabot du système couplet-refrain. Bien entendu,
ces maîtres-là en ont souvent tiré leur partie, et le retour et les
répétitions des refrains n'allaient pas sans une variation de sens, sans
une progression dramatique qui faisaient de leurs titres de véritables
bijoux : mais à s'y remettre, à se replonger dans la forme, cela devient
imiter - le pire étant que ceux qui s'y exercent ne s'en aperçoivent
pas. La chanson est morte, donc. Vive la kaleidophonie et les
kaleidophones...
La
kaleidophonie, ou le kaleidophone, est certes une forme particulière de
chanson* - mais une autre forme de chanson. Elle existe, existe déjà,
certes à l'état embryonnaire, au fond de chaque conscience. C'est le
babil ressurgi, l'angoisse première qu'il faut rassurer par la
répétition, le bégaiement de l'âme qui permet d'être soi. Ce sont ces
refrains insensés sur quoi tout en nous se fonde, et qu'il s'agit
maintenant de distinguer, de mettre en forme.
Au résultat, un
kaleidophone se fonde sur une partition "texte", texte sans rimes, sans
forcément de raison, un texte comme un motif, proche d'un monologue
intérieur dont les obsessions suffisent à créer la structure (un texte
donc, le plus "plat" possible, épuré, débarrassé du jeu de mot).
Musicalement, de brèves structures mélodiques tournantes dans contextes
harmoniques différents. Le tout haché dans un mixeur électronique. C'est
une figure de plus de l'indécision, très en phase avec l'époque, comme
les téléphones portables cherchent à éviter l'absence, le zapping des
télécommandes, ou les split-screens qui au cinéma paraissent éviter le
choix du montage.La chanson est morte je suis libre, je puis donc boire
tout mon saoul...
* Entendons bien : quand je
parle de chanson, ici, je ne parle pas du terme générique de chanson, de
cette forme d'art profane à la fois populaire et savant qui a parcouru
les siècles, principalement anonyme (de Clément Jannequin ou de John
Dowland à Béranger, à Jean-Baptiste Clément et jusqu'aux chansons de
14-18), mais bien de cette forme annoblie de chanson - dès les années
1930, avec Trenet, puis dans l'explosion des années 40 et 50 - annoblie
par la notion d'auteur (c'est à dire à une époque où l'industrie du
disque, se developpant, en avait besoin - besoin qu'elle ne
ressent plus tant depuis les années 70, nous dirons qu'elle s'est
recentrée sur son "corps de métier", vendre), empruntant à la
littérature sa mythologie hugolienne ou rimbaldienne, c'est selon...
Edité le: 12 février 2007 21:01
Catégorie: chansons (en général), Kaleïdophonies, poeting