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02 mai 2007

Ecrire sur du sable

Il fut un temps où le cancre était une figure sympathique. C'était le cancre de Prévert, le rêveur indocile. C'était le cancre qui rêvait à un monde qui aurait pu être, un cancre avec de l'imagination - bref : un cancre avec de l'appétit. Une figure littéraire. Les cancres d'aujourd'hui sont d'une autre nature : ils ont une revanche à prendre sur ce qu'ils n'ont pas compris. Le modèle est devenu sportif. On se qualifie pour le second tour, on arrive en finale, on joue le match retour (même quante ans ans plus tard). Le modèle n'est plus le poète, mais le marchand. Celui qui réussit à vendre sa salade (même et surtout si elle n'a pas bon goût, l'exploit n'en est que plus grand). C'est déjà pathétique. Mais le pire n'est pas là : il est dans l'aigreur. Car le cancre d'aujourd'hui aime à se transformer en surveillant général. Il a des "valeurs". Il aime exclure. Mettre au piquet. Montrer du doigt. Il aime faire subir la brutalité et les vexations qu'il dit se souvenir avoir subi. C'est vrai qu'à l'époque il était petit et ringard. On est toujours le ringard de quelqu'un. C'est dans Montaigne et c'est dans Proust. Mais il n'a pas eu la consolation de les avoir lu. Ou s'il les a lu, de les avoir compris. De toutes façons, lire, c'est toujours du temps perdu, de l'instant "pas-immédiatement-utile"1. Mais il a des valeurs. Ça remplace. Il est patriote. Il est travailleur. Il est très famille. Efficace, cette trinité, en France. Qui voudrait ne pas être efficace ? Le cancre d'aujourd'hui aime les questions fermées, qui n'acceptent à l'évidence qu'une réponse ("Avoir envie de violer un petit garçon de 3 ans, est-ce que c'est normal ?"2) et les équations mathématiques simples ("Travailler plus pour gagner plus"). Toutes propositions qui ne souffrent pas de contradictions. Car pour le cancre d'aujourd'hui la contradiction rappelle de trop mauvais souvenirs. L'époque où il n'était rien. La contradiction est une remise en cause directe de sa personne. Elle est le signe qu'on ne l'aime pas. Il n'aime pas. Normal : le cancre d'aujourd'hui est quelqu'un de simple, qui vit sur l'Ile de la Jatte à Neuilly sur Seine, comme vous et moi.



J'écris cela ce matin comme je pourrais écrire sur du sable. Sous les pavés... Ce ne sera pas plus efficace. Le vent, les vagues qui passent... Mais je prends date. Pour dans quatre jours... Pour dans dix ans... nous verrons bien... Victor Hugo tenait comme à un théorème qu'ouvrir une école c'était fermer une prison. Les ressentiments du cancre permettront-ils d'en faire la preuve par l'absurde, qui semble vouloir mettre en oeuvre la proposition inverse3 ? Et en a-t-on vraiment besoin ?

1 "Vous avez le droit de faire littérature ancienne, mais le contribuable n’a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne si au bout il y a 1000 étudiants pour deux places. Les universités auront davantage d’argent pour créer des filières dans l’informatique, dans les mathématiques, dans les sciences économiques. Le plaisir de la connaissance est formidable mais l’Etat doit se préoccuper d’abord de la réussite professionnelle des jeunes." Nicolas S. au Journal 20mn, tiré du communiqué de la Maison des Ecrivains.

2 Nicolas S., sur France 2, le 10 avril dernier.

3 Cf. Communiqué de la Ligue des Droits de l'Homme du 28/04/2007

Posté par François à 11:09
Catégorie: humeurs

10 mai 2007

SI dur d'être doux...

En attendant d'être de retour sur les sentes ardues de la création solitaire (j'aime ces images à la con, métaphores archaiques, termes rares et rimes tirées du dictionnaire dédié - c'est mon côté nouvelle variété française), une première piqure de rappel, à renouveler chaque semaine jusqu'à lassitude, sur ce que fut mai 68 - par l'illustration : affiches, graffitis, photos... Pour moi qui ne l'ai pas vraiment connu, et qui ai tant d'années maugréé après le comportement de cette génération plus nombreuse que la mienne qui s'était si massivement assise, la bonne conscience en plus (voir le livre de Guy Hocquenghem "Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary") mai 68, sa jeunesse, sa liberté, sa musique, ses désirs, a toujours été bien plus passionnante que la musique boite à rythme et petit bras apparue avec les années 80. Que cette saison-là puisse encore faire débat est vraiment étonnant - témoignant toujours du rendez-vous pris avec l'avenir, ce printemps là, un printemps qui certes ne révolutionna rien - sinon l'habitude tranquille de la docilité ordinaire (encore une image à garder). Cliquez pour agrandir :



Posté par François à 16:08
Edité le: 10 mai 2007 19:01
Catégorie: humeurs

14 mai 2007

Vocabulite XIII

(Nota : ces articles seraient plutôt à lire dans leur chronologie - en cliquant ici).

Concernant des évènements hebdomadaires : lunditudinaux, marditudinaux, mercreditudinaux, jeuditudinaux... etc jusqu'à dominitudinaux. Par exemple : je fais ma balade lunditudinale.
D'ailleurs, parlant d'un évènement qui n'en est pas un : un hévènement (en aspirant bien le h).
Des echos dans un escalier : se collimaçonnent, se collimassonnent.
Pouvoirs et impouvoirs.
Ai-je déjà noté "quesxion" (pour "question", faisant sonner le "x" mathématique de l'inconnue) ?
Ou "conservassation" pour conversation enregistrée ?
Anonalie (pour une anomalie de prononciation, se dit de quelqu'un qui anonne) ?
L'onirine (se dit de la couleur des rêves) ?



(Assuivre, toujours)

Posté par Musil à 12:07
Catégorie: chez Camille, les Animots

21 mai 2007

1967

Suite de nos publications lunditudinales sur 68. Proposition : c'est 67 le fautif. 67, c'est les Beatles ("Sergent Pepper's" et le braillant "All you need is love"), c'est les Doors (qui vendent leur premier album), c'est le premier album des Pink Floyd, le premier album du Velvet underground, ainsi que le premier de Zappa ("Freaks Out !") et la galette hallucinée de Jimmy Hendrix ("Are you experienced ?") - je ne sais plus dans quels parages sont les Stones mais sans doute pas très loin de la taule : que du beau monde de chef-d'oeuvre. 1967, c'est La Chinoise de Godard, le Lauréat de Mike Nichols et PlayTime de Jacques Tati. C'est le dernier disque de Coltrane, si ma mémoire... C'est les sessions d'Underground de Thelonious Monk. Après, faut-il s'étonner des conséquences ? L'esprit critique, vous comprenez...L'inversion de la pyramide des âges... Alors, le printemps d'après, réminiscences surréalistes...Cliquez pour agrandir :



Quant à 2007... Sixième saison de la Star'Ac...

Posté par Estenon à 8:01
Edité le: 23 mai 2007 11:38
Catégorie: humeurs

23 mai 2007

Anatomie de la mélancolie

Au début du XVIIe siècle, Robert Burton (un véritable personnage, insignifiant et original comme je les aime) fait paraître à Londres "Anatomy of mélancholy" où il décrit la mélancolie comme un des éléments du cosmos, une expérience partagée par les individus, les Etats, les animaux, les plantes et les métaux. Il propose d'y remédier en fondant une cité idéale, s'inscrivant en cela dans la tradition des écrivains utopistes qui depuis Thomas More et Campanella commence à irriguer la culture européenne : "Que le monde demeure en punaisie s'il le veut ! Je peux toujours construire, pour ma satisfaction et mon plaisir une nouvelle Atlantide, une république poétique de mon cru..." Certains en ont conçu des Mayflowers. D'autres des révolutions. C'est qu'il y a entre la mélancolie et l'Utopie des liens étroits, en réalité toute une économie de substitution que Wolf Lepenies, dans ses cours au Collège de France publiés récemment ("Qu'est-ce qu'un intellectuel européen ?" aux Ed. du Seuil) s'est mis en charge d'analyser : la création de l'intellectuel, en tant que figure, passe par ces deux pôles-là. La mélancolie des désenchantés, de ceux qui sont condamnés à l'inaction du fait d'un pouvoir politique qui leur echappe, de ceux qui se mettent à penser, l'utopie cherchant remède... Les cours sont datés (début des années 1990, la chute des régimes communistes) et passionnants : il y aurait beaucoup à dire, rebondir aussi ici et maintenant sur cette mélancolie propre au web, sur ces utopies techniques de communautés virtuelles et d'intelligence collective qui ont fait leur apparition - mais là n'est pas mon propos. Je ne pense qu'en echos, en samples, en echantillons : j'aurais l'occasion d'en reparler, à l'occasion d'un kaleïdophone (dont les publications reprennent bientôt). Aussi ai-je immédiatement pensé à Robert Burton, à la mélancolie constitutive du cosmos, quand j'ai vu que les scientifiques avait réussi à modéliser une partie de la matière noire de l'univers, l'avait en quelque sorte visualisée, comme vous l'explique cet article, comme vous le montre cette video :



- et en moi c'était comme si on avait pu pour la première fois faire le portrait - de la mélancolie...

Posté par François à 11:18
Catégorie: humeurs, Videos

29 mai 2007

69 - 1

... égale 68. Il y a eu un sens du plaisir qui n'était pas uniquement hédoniste, pas uniquement chacun pour sa gueule croisière-à-Malte et après-moi-qu'il pleuve ce printemps-là. Un sens de la blague. Un sens sérieux. Un refus des évidences imposées. Retour à notre publication hebdomadaire (marditudinale pour le coup) : 1968 par l'affiche. Sa modernité. J'ai retrouvé quelques placards de la Commune qui un siècle plus tôt pourrait aussi nous en remontrer. Prochainement. Un avenir à-venir. Kaléïdophonies des temps jamais aussi linéaires qu'on ne le pense : il y a des tourbillons, des retours en arrière, des à-coups vers l'avant... Les fleuves, vous comprenez... Ils prennent le dessin des roches plus résistantes, ils se dessinent par leurs echecs à creuser. Ils ont l'espoir de l'estuaire. Comme nous, de l'Histoire. Cliquez pour agrandir :



Prochain article : un nouveau kaleïdophone.

Posté par François à 19:49
Edité le: 29 mai 2007 19:54
Catégorie: humeurs